Initiative Anti-Gaspillage: Brome-Missisquoi

Boxes of produce in front of a poster.

Introduction

Approcher deux problèmes avec une même solution

A trunk with large plastic bins full of fresh produce.

C’est en 2016 que Lise Proteau, directrice du centre d’action bénévole de Bedford et Noémie Raiche, coordonnatrice de la Cellule Jeunes et Familles de Brome-Missiquoi ont détourné une première fois deux caisses de laitues fraîches du chemin vers le dépotoir. Ces laitues, même si elles n’étaient plus les plus croquantes, ont permis de fournir un apport en vitamines à des familles démunies fréquentant la banque alimentaire gérée par l’organisme. Peu à peu, l’initiative s’est structurée et, par la suite, chaque été une centaine de livres de denrées a été récupérée.

Une idée a alors germé dans la tête de Mme Proteau et de Mme Raiche : Pourquoi ne pas en élargir le rayon d’action et augmenter le volume de denrées collectées? Serait-ce possible d’étendre cette initiative à l’échelle régionale afin de récupérer les aliments invendus ou laissés au champ avant qu’ils ne se retrouvent aux poubelles? Si on réussit à les entreposer adéquatement, pourrions-nous assurer un apport en fruits et légumes sains tout au long de l’année? Il fallait trouver une façon de faire le pont entre les producteurs de la région qui se retrouvent avec des surplus et les consommateurs les plus démunis.

A group of people stand over plastic buckers full of produce.

Lise et Noémie savaient que si elles faisaient le projet seules, jamais elles ne pourraient récupérer tous les aliments disponibles. Il leur fallait de l’aide. Elles ont donc approché d’autres organismes qui gèrent des banques alimentaires soient les centres d’action bénévole de Farnham et de Cowansville. Ceux-ci sont certainement confrontés au même problème qu’elle : il y a très peu de produits frais dans les paniers d’aide alimentaire, spécialement en hiver.

Rapidement, un réseau d’entraide entre les quatre organismes a été créé. L’année suivante, le Centre Marguerite Dubois de Bromont ainsi que le centre d’action bénévole de Sutton se sont joints au projet. Un comité de coordination du projet a été créé. Il est formé d’un représentant des 6 organismes participants ainsi que d’une représentante du Centre local de développement de Brome-Missisquoi (CLD), d’une nutritionniste et d’une organisatrice communautaire. Tous se sont alors entendus sur les deux objectifs principaux de leur action : d’une part, réduire le gaspillage alimentaire et d’autre part, nourrir les plus vulnérables. Le projet peut apporter une solution aux deux problématiques. La nouvelle coalition avait donc pour mission de développer l’approvisionnement à l’année en légumes sains, frais et locaux afin d’améliorer la nutrition communautaire tout en réduisant le gaspillage alimentaire et ses conséquences néfastes sur l’environnement.

Pour y arriver, il fallait établir un plan d’action. Chaque organisme s’occupe de contacter des fermes et des épiceries de sa zone. Chaque mardi matin, les denrées sont collectées par des groupes de bénévoles et transportées, encore une fois par des bénévoles, à Cowansville, la ville centrale de la région. Les denrées sont réparties entre les six organismes participants au projet. Chacun d’eux repart dans sa zone respective et redistribue les denrées amassées parmi les bénéficiaires de ses programmes alimentaires. Les surplus sont apportés au centre d’action bénévole de Farnham qui est le mieux équipé pour en faire la transformation. Une fois transformés, les produits sont repartagés parmi les organisations participantes. Ainsi, les organismes peuvent redonner des denrées aux personnes dans le besoin tout au long de l’année et ce, même s’ils ne sont pas eux-mêmes équipés pour faire de la transformation.

C’est ainsi que le projet antigaspillage de Brome-Missisquoi est né! Dès 2017, 4000 livres de denrées ont été recueillies et plus de 100 familles ont profité de l’initiative. L’année suivante, la cueillette a dépassé les 6500 livres. À partir de ce moment, le groupe a réalisé que pour continuer ainsi, il fallait améliorer les capacités d’entreposer et de conserver les aliments. Il fallait absolument trouver une façon de transformer ou de congeler les produits pendant l’été pour les distribuer durant l’hiver. Mais, pour y arriver, il fallait des ressources financières additionnelles.

 

Two people in masks pose in front of a gas burning stove.

Le projet a démarré sans financement ni subvention. Par contre, en 2018, le plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale a soutenu financièrement le projet. Cette subvention a permis de faire l’achat d’équipements, d’élaborer un plan de promotion et d’organiser des activités pour remercier les partenaires. Ces fonds ont aussi permis la mise en place d’un projet pilote de transformation avec l’organisme Pleins Rayons. Cet organisme offre des plateaux de travail permettant l’insertion sociale de la clientèle avec déficience intellectuelle. Bien que cette collaboration n’ait duré qu’une année, elle a permis de transformer une grande partie des denrées récupérées en soupes, sauces et autres plats nutritifs.

En 2019, le centre d’action bénévole de Farnham a obtenu un soutien financier du Fonds d’infrastructures alimentaires locales. Cette entrée de fonds a permis l’aménagement d’une cuisine industrielle. Cette nouvelle installation a amélioré significativement la capacité de transformation des aliments récupérés. Une meilleure transformation augmente grandement la quantité de produits pouvant être distribués durant la période hivernale.

Grâce à la collaboration de six organismes communautaires ayant à cœur la sécurité alimentaire, ce ne sont plus deux caisses de laitues qui sont recyclées mais bien des centaines!

Two people pick butternut squash.

En effet, depuis 2016, 14 fermes et 18 entreprises d’alimentation participent au projet. Certaines font des dons hebdomadaires, d’autres des dons plus ponctuels. Certaines fermes permettent aussi à des bénévoles de faire du glanage dans les champs. Après chaque collecte, toutes les denrées amassées sont pesées. Aujourd’hui, plus de 15 000 livres de fruits et de légumes frais sont ainsi détournées annuellement des dépotoirs. Du même coup, le projet permet aussi le ramassage de 12 000 livres de produits de boulangerie, près de 5000 livres de viandes et plus de 5000 livres de denrées sèches. À tout cela, il faut aussi ajouter plus de 4 000 livres de denrées fraîches qui sont transformées et redistribuées durant les mois d’hiver.

Le projet peut compter sur une trentaine de bénévoles qui investissent plus de 1 500 heures de bénévolat à chaque année. Ensemble, ils préparent plus de 10 000 repas pour les moins nantis de leur communauté. Malheureusement, le contexte de pénurie de main-d’œuvre qui sévit au Québec se fait sentir aussi au niveau du recrutement de bénévoles. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des bénévoles fiables et compétents.

Succès

Seul, on va plus vite mais en groupe, on va beaucoup plus loin.

A group of people in aprons pose in an industrial kitchen.

D’une part, le regroupement de différents acteurs liés à la sécurité alimentaire locale a permis d’augmenter significativement la capacité de collecter et de transformer les denrées alimentaires. En effet, la mise en commun des ressources a permis l’acquisition d’équipements spécialisés tel une chambre de congélation et une cuisine industrielle pour la transformation de produits. Aussi, en mettant sur pied cette action collective, chacun des organismes a accès à une plus grande diversité de produits. Puisque les produits sont récoltés dans six zones différentes avant d’être mises en commun, chacun des organismes participants peut offrir une plus belle variété à ses bénéficiaires que s’il ne redistribuait que sa propre collecte.

Boxes of produce in front of a poster.

En revanche, au départ, il a été difficile de s’entendre sur un mode de fonctionnement équitable. Chacune des organisations participantes n’avait pas la même réalité ni les mêmes capacités. Par exemple, certaines zones étant plus agricoles, il était beaucoup plus facile pour certains intervenants de collecter des denrées. Il fallait donc trouver un mode de fonctionnement efficace qui tient compte des réalités géographiques et qui permet à tous les protagonistes de se sentir respectés. Il fallait aussi que les responsabilités soient réparties de façon équitable tout en tenant compte de la capacité de chaque organisation à recruter des bénévoles. Pour y arriver, il a fallu beaucoup de discussions honnêtes et respectueuses pour que tous puissent établir les limites de leur contribution. Les partenaires établis dans les zones où le nombre de fermes est plus limité consacrent donc davantage d’efforts sur la promotion du projet et le développement de l’initiative. Ils recrutent aussi des bénévoles qui participent aux opérations de glanage durant la période des récoltes. Avec le temps, les protagonistes ont su mettre en place une structure de travail collaborative et efficace et créer une synergie bénéfique. Un comité de gestion a été créé et des rencontres mensuelles sont organisées pour assurer un suivi serré du projet et une juste distribution des tâches.

Pour les partenaires donateurs, l’implication est peu contraignante. D’une part, les collectes, et même parfois les récoltes, sont assurées par des bénévoles. D’autre part, il n’y a pas de pertes financières puisque les produits donnés étaient généralement invendables. Malgré tout, les entreprises peuvent, si elles le désirent, recevoir un reçu d’impôt pour don de charité. Plus important encore, les entrepreneurs sensibles aux enjeux sociaux et environnementaux reçoivent la satisfaction de contribuer positivement à leur communauté.

D’une certaine façon, les commerçants en alimentation auraient pu percevoir ce projet comme une compétition pouvant réduire leur chiffre d’affaires. Au contraire, ils y ont vu une façon de contribuer positivement à la communauté tout en améliorant l’image de marque de leur entreprise. Les maraîchers, quant à eux, préfèrent voir le fruit de leurs efforts nourrir des populations vulnérables plutôt que d’être mis au compost.

Défis

Faire beaucoup avec peu

Il faut souligner le défi considérable que représente le transport, spécialement pour maintenir la chaîne de froid. Les responsables du projet doivent être créatifs pour conserver les aliments à de bonnes températures et ce, pendant quelques heures. Sans véhicule réfrigéré, ils doivent utiliser des glacières ou des boîtes thermiques pour transporter les produits fragiles. Ensuite, on doit trouver des endroits pour entreposer les récoltes, spécialement les produits qui doivent être conservés au froid. Malheureusement, certains produits sont perdus faute d’équipement adéquat pour les transporter et les entreposer.

Portioned meals in the freezer.

Il est aussi nécessaire de bien planifier les collectes pour assurer une belle diversité de produits dans les paniers. En même temps, il faut faire preuve d’imagination pour gérer de gros volumes de légumes, spécialement ceux qui sont moins populaires. Comment valoriser une tonne de bettes à carde? Il a donc fallu développer des recettes et des stratégies pour faire connaître les légumes moins populaires. Enfin, on doit établir des limites et ne pas recueillir des denrées au-delà des capacités d’entreposage et de transformation sinon les organismes deviennent des composteurs communautaires.

Leçons apprises

La force du nombre

Two people help carry a tray with prepared meals.

Le projet a permis de prendre conscience du potentiel que peut avoir la force du nombre. En unissant leurs efforts, les protagonistes ont réussi à mettre de l’avant un projet beaucoup plus grand que si chacun d’eux le menait individuellement. Par exemple, la collectivisation des efforts a permis d’augmenter significativement l’ampleur du projet.  De plus, les organismes ont maintenant l’équipement et les infrastructures nécessaires pour être en mesure d’accepter des dons de plus d’une tonne. 

Plutôt que de monter plusieurs petits projets dans leur municipalité respective, les responsables ont mis sur pied un projet à rayonnement régional. Il est ainsi plus facile d’obtenir de la visibilité et de faire connaître un projet d’envergure régionale plutôt que plusieurs petits projets locaux.

Perspectives Futures

Reproduire le modèle dans d’autres communautés

Produce in front of a poster reading "Fier participant de l'anti gaspillage dans Brome-Missisquoi. Transformons le gaspillage"

Pour les années à venir, le groupe souhaite mettre à profit l’image de marque qui vient d’être développée. Celle-ci permet aux donateurs de s’afficher comme partenaires du projet de réduction du gaspillage alimentaire dans Brome-Missisquoi. Un logo peut désormais être affiché à l’entrée des commerces et ainsi permettre à la population générale de reconnaître la contribution du commerçant. En plus de donner plus de visibilité au projet, les entreprises participantes sont davantage reconnues pour leur générosité et pour leurs efforts pour réduire le gaspillage.

Ensuite, le réseau étant de plus en plus efficace, il est réaliste de songer à sa croissance. Les directeurs souhaitent donc augmenter le nombre de partenaires et leur diversité en approchant les hôtels, les restaurants et les institutions.

A selection of lettuce on a table with the poster in the foreground.

Enfin, le groupe souhaite augmenter significativement la capacité de transformation des aliments en mets nutritifs pour la communauté afin d’offrir des aliments sains et locaux tout au long de l’année. Pour y arriver, chacun des centres d’action bénévole impliqués prévoit améliorer sa capacité de transformation, soit en investissant dans de l’équipement ou en créant des partenariats afin d’avoir accès à une cuisine de transformation. Collectivement, ils feront aussi l’acquisition d’équipement pour faciliter l’entreposage, le maintien de la chaîne de froid et la préservation des aliments. Ils prévoient notamment investir dans des chambres de congélation et un véhicule réfrigéré.

Idéalement, il faudra trouver du financement stable pour assurer le développement du projet et sa pérennité. Par exemple, un financement supplémentaire permettrait d’embaucher des ressources humaines spécialisées, particulièrement au niveau de la transformation alimentaire. Évidemment quelques dollars additionnels permettraient de mettre en place une solution plus durable que l’utilisation de contenants jetables pour la distribution des plats transformés. Pour y arriver, il faudra trouver des partenaires financiers intéressés à investir à long terme dans le projet. L’idée d’une entreprise d’économie sociale est aussi en cours d’évaluation.

Avec une bonne dose de leadership, quelques cuillères de persévérance, une pincée d’audace et une petite goutte de tolérance, six organismes communautaires ont réussi à bâtir un réseau de collaboration permettant de détourner une grande quantité de produits alimentaires du dépotoir pour nourrir les plus démunis de leur communauté. Cette initiative est facilement réplicable et vous pourriez, vous aussi, faire de même dans votre propre communauté.

Longue Vie aux Initiatives D’antigaspillage dans Brome-Missisquoi 

Et Partout Ailleurs!

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